Je viens de finir de manger, seul, pour la première fois depuis longtemps dans cet espèce d’hôtel (photo ci dessous). Des pâtes, avec une sauce tomate, oignons, un peu d'ail, une carottes coupée en rondelle, un pincée de piment rouge et de poivre, des olives. Et une bouteille de vin. Quelque nouvelle du monde pour digérer parce que c'était lourd.
Un peu défoncé je regarde en face de moi la chaise vide. Qui est là à me tenir compagnie ?
Un voyageur qui refuse de prendre l'avion parce que ça brûle du pétrole ?
Qui ne va jamais à l’hôtel parce que c'est cher et pas authentique ?
Un cuisinier new age qui ne mange que des légumineuses et du poisson parce que c'est la communion avec la terre et la mer ? Une femme anti-moraliste qui ne veut qu'une seule chose au monde c'est aller danser ?
Non rien de tout ça, ou alors tout ensemble. C'est mon inconscience, mon double invisible qu'on peut voir sur la photo. Il faut dire que j'en vois défiler des voix et des visages depuis un mois que je suis ici à pourrir à Malte en essayant de terminer mon article. Et chacun d'eux a plus ou moins laissé son emprunte, à la fois sur la table et en même temps dans ma tête.
Si la nuit de noël, vous êtes dans la cuisine d'un hôtel minable à Malte et qu'un voyageur vient frapper à la porte, vous lui ouvrez avec une certaine appréhension. Ce que je fis. Le 24 décembre 2010. C'était un japonais. Bref, nous avons été manger une pizza napolitaine dans un restaurant calabrais, il y avait un autre italien de l’hôtel aussi. C'était très mauvais. Les japonais ne savent pas faire la conversation.
Nous rentrons vers 3 heures à l'auberge. Je n'en ai pas assez. Je trouve Joe, un écossais de Glasgow, attablé, passablement défoncé. Je m'assieds face à lui et je le regarde. Il me demande de lui chanter une chanson de mon pays parce qu'il a envie d'aller se coucher mais qu'il a peur de faire des cauchemars. "Je ne sais pas chanter". Dis-je, en écossais. "Mais si, tout le monde connait au moins une chanson, rien que la berceuse que maman ou la nourrice fredonnait pour apaiser le petit enfant que nous étions un jour ! " Répond-il.
Comment lui expliquer que je n'ai jamais été enfant ? Alors je sors mon ordinateur et ouvre l'extrait de Pierrot le Fou avec Karina et Belmondo que j'avais par hasard téléchargé quelques jours plus tôt. Je présente ça comme une chanson typiquement française.
Pendant qu'il regarde le film, je me demande si cet homme dégage beaucoup de sexappeal. C'est une épave, une éponge, un débris. Il doit plaire aux filles ! Puis il se roule une cigarette terrible et il mélange au tabac d'étranges substances. Rien que de respirer sa fumée....j'ai eu des hallucinations toute la nuit. J'ai vu le père noël entrer dans ma chambre avec de mauvaises intentions. Je me souviens que je me redresse d'un bond et que je hurle sur mon lit. Mon coeur bat la chamade, je tremble, je sue. Je vais mourir. La berceuse de l'écossais (ci-dessous) aura été la dernière douceur, la dernier voix emprunte de tendresse que j'aurais entendu de ma vie. Devant cette ironie, je ne peux m'empêcher de sourire.
Quelle soirée de merde, s'il faut qu'il y ait un gars pour se taper tous les trucs à la dérive du monde, au lieu de penser à s'amuser, à faire rougir les joues des filles, pétiller leur yeux, battre leur coeur de danse et de mots doux...les faire boire un peu, les encourager à se désarmer, à se lâcher...les accompagner vers l’insouciance, je suis celui là. Je suis maudit parce que je les accompagne vers la souciance. Parce que on sait tous bien que science sans souciance n'est que ruine de l'âme. Et si voyager, faire la cuisine, faire l'amour, rouler un joint ce sont des choses de l'ordre de ces petites sciences des travaux et des jours, alors ? ou alors ! ça donne envie de passe à la grande non ? comme les bouddhistes ont la petite et la grande voie et les cyclistes le petit et le grand braquet. Le petit donne envie de passer au grand ? oder....ou bien....faut il que je l'écrive en allemand ?
SA
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