D'anciens employés français dépressifs sont reçus par un psychiatre de la médecine du travail. Les consultations sont filmées. Les employés racontent l'enfer du travail. Ce qui est dérangeant avec ce genre documentaire qui évoque remarquablement la misère, c'est qu'on ne sait pas si l'on est en train d'assister à un mémoire de recherche de psycho ou de socio, ou alors à une héroïque enquête journalistique racoleuse et sensationnaliste. La caméra fixe et le canon à son gobent de manière indifférencié toutes les humaines horreurs échangées de part et d'autre du bureau en PVC, filmé en coupe, dans le cabinet de consultation, ambiance sécurité sociale : carrelage de cantine scolaire, murs recouverts de peinture beige école communale. Un médecin en blouse blanche, laid, sans maquillage, parle un français métallique et neutre, mais de bon niveau, bien fluide et articulé, tout plein d'une fausse humanité, questionne son patient, que l'on devine expédié par le pôle emplois de son département. Le malade répond dans un français un peu plus bariolé, mais assez bon aussi, il a cela en plus qu'il se perd dans des descriptions, des justifications, dont tout le monde se fou. Quand on pense que certains psychiatres, dans le privé, reçoivent le client dans des salles de consultations luxueuses, lumière tamisée, boiserie précieuse, et tapis persan !
Les toubabs en affaires ou en vacances, qui noient leur soirée tropicale dans l'eau minérale ou la bière, au bar de l'Alliance, regardent le film d'un oeil vague. Les locaux, noirs, employés de l'Alliance regardent aussi. Ils terminent leur journée de travail à la bibliothèque ou au bar par une apothéose filmique française et voient de leurs yeux que les toubabs se font bien plus chier qu'eux au travail, et que finalement, même s'ils sont employés à vie à l'Alliance sans espoir de promotion, et pour des nèfles en plus, ils ont de la chance d'avoir un directeur aussi humain, eux. Il y a aussi d'autres locaux qui font des affaires avec les toubabs, des intermédiaires, des coxers, qui sont renforcés dans leur conviction profonde d'africain, que la france est malade et qu'il faut que ses employés les plus dépressifs viennent se soigner au Sénégal.
Étrangement, il y a un autre écran ce soir à l'Alliance à 20 mètres de là, plus petit, c'est une TV de moyen standing. On y passe du football, et 30 sénégalais supportent Manchester contre une autre équipe d'europe sur des chaises en plastiques. Au début je trouve cela sympathique, merde à ce film hypocrite et à ces toubabs moralistes et coincés qui sortent leur violon enduit d'antiseptique de l’hôpital. Ces enquêtes journalistiques boiteuses qui n'en finissent pas de boiter...mais quand j'entends le commentaire de crétin des journalistes sportifs de Canal Plus, que l'on capte visiblement en Afrique, je me dis qu'il n'y a plus d'espoir, que le reflet de la face de crétin des nuisibles est sans fin.
Alors, je me lève et vais m'abriter à l'intérieur du bar, un peu plus protégé. Je regarde les serveuses faire leur boulot. J'entends encore des bribes du film psy. C'est la partie finale, le débriefing des médecins du travail, dont on se rend compte qu'ils s'expriment entre eux, et avec le journaliste, dans la même langue professionnelle, qui sait si bien racoler dans l'intime, qu'avec les patients.
Et ce film devient peu à peu, ce soir, à Ziguinchor, une obscénité qui provoque la nausée. Nausée que je suis bien le seul à avoir parce qu'à regarder la tête des spectateurs, tout le monde s'en fou.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire