jeudi 14 avril 2011
La prodigieuse histoire de la femme 1
Ce matin, à l'Alliance Française de Ziguinchor, je lave consciencieusement mon linge dans le lavabo du complexe. Je demande à un membre du personnel un endroit où faire sécher mes affaires. Il me montre l’arrière-cour, le territoire des femmes de ménage de l'Alliance. Nous surprenons, mes deux Tshirt blancs, mon pentalon gris et mon slip noir sous le bras, deux femmes assez âgées en plein travail. Dotés de cuisses énormes et d'un haut du corps plus fin.
La femme africaine ne s'assoit pas quand elle lave, elle se penche, dévoilant au monde sa croupe recouverte d'une jupe, qui l'enracine au sol comme un Baobab, sa colonne vertébrale avec la flexibilité du roseau, se plie vers la bassine d'eau, tandis que ses bras maigres et ses mains noueusest battent le linge sans répits.
Je tends mon paquetage à l'une de ces braves femmes qui doit s’appeler Marie. Elle quitte sa bassine et se relève vers moi, mais reste au 3/4 penchée, parce que ses hanches ont du mal à dépasser l'angle à 90° d'ouverture, 45° étant sa position de travail, et elle travaille 15 heures par jours depuis 40 ans.
Elle inspecte mon travail d'un oeil expert, qui se vrille sur les nombreuses taches que ma négligence a laissé passer sur mes maillots de corps blancs (je refuse de lui laisser examiner mon slip). Mon pantalon gris est jugé propre, mais son essorage laisse à désirer en raison de la rugosité du tissus. La petite dame, vive comme l'éclaire, enroule d'un geste expert les jambe du pantalon suintant autour de l'os de son avant bras blanchit par les lessives et le tord de sa poigne d'acier, comme si c'était le cou d'un poulet, faisant gicler de grandes quantités d'eau à chaque tour de vis. Dans le même temps, sa collègue s'empare de mes Tshirt et les plonge aussitôt dans l'eau de javel de sa bassine. Puis, ensuite, toutes les deux ensembles, se redressent avec ferveur, bras et cou tendus, dans un élan irrésistible vers le ciel, pour tenter d'accrocher mes habits sur les cordes à linge à deux mètres du sol.
Nous pourrions être dans ce film de Stanley Kubrik sur l’odyssée de l'espèce, l'espèce femelle en particulier.
Comme une ellipse spatiotemporelle foudroyante, je me retrouve quelques mètres et secondes plus tard dans la bibliothèque de l'Alliance, où, après des siècles d'émancipation, lessive après lessive, une toubab Franque (Cf photo), la peau délicieusement beurrée par les crèmes du soleil des tropiques, tape nonchalamment sur ordinateur portable, comme si la femme n'avait jamais fait que cela toute son histoire. Les coussinets de ses dix doigts qui frappent légèrement les touches du PC, remplissent la salle tapissée de livre, d'un rythmé, cadencé et apaisant qui appelle la concentration. Mademoiselle pianote un logiciel d'édition, de la page duquel elle glisse vers Photoshop, puis vers outlook, et l'on comprend qu'elle est en train de travailler, en temps réel, à quelque projet de livre d'art en couleur, probablement en relation avec un bal, un festival, ou un carnaval, à la promotion d'un artiste local qui sera bientôt projeté à Paris. Son téléphone portable sonne régulièrement ajoute une sous-rythmique plus lente. Le tempo de l'ensemble est tenu par un petit pieds délicatement chaussé d'une sandale, qui s'agite en va et vient sous la table, cette petite masturbation qui remonte par les cuisses est une mise en branle doucereuse indispensable qui inonde le cervelet d'une hormone de béatitude favorisant, par le plaisir, le travail intellectuel. Nous le voyons, et quand bien même si la française irradieuse de l'ère Fukujima, n'est pas encore parvenu à se redresser totalement, son travail de bureau lui imposant un dos voûté et une tête qui se tasse un peu dans ses épaules...., que de progrès depuis le modèle féminin archaïque de la femme de ménage africaine ! Cette dernière rentre chez elle tous les soirs pour se faire prendre par un mari bien peu connaisseur des critères de beauté européens, et bien sûr faire à bouffer à la famille, avant qu'on la laisse enfin ronfler. Par contre, la toubab blonde, à l'accent de Paris, séparée de sa cousine par des siècles de progrès, restreindra beaucoup plus l’accès à son entre jambe (autrement que par et pour elle-même, nous l'avons vu) et compensera le manque à gagner en cérébralité, dont les temps forts les plus exubérant se marqueront par des pots interminables dans les jardins luxuriant de l'Alliance, ou ses doigts de pieds et de mains continueront à s'agiter de la même manière, mais cette fois pour orchestrer la magnifique symphonie mondaine, sur fond de concert live de jazz manouche, sous les étoiles du soirs du ciel tropical. Bien malin qui parviendra à la sauter. Et bien des honneurs à celui qui trouvera en lui les ressources physiques d'y parvenir dans le cas où elle serait consentante, parce que bourrée.
Que de progrès la femme a accompli, donc, depuis le stade archaïque jusqu'au produit de l'évolution sophistiqué qui enchante nos vies d'aujourd'hui. Il serait tentant en conclusion d'esquisser quelques étapes intermédiaires dans cette grande épopée. Deux sont particulièrement remarquables
1. Le stade que l'on peut dire proto-érectif, que l'on rencontre souvent en Afrique. Il s'agit la femme debout, à 180°, mais encore très attachée la lingère primitive. Cette femme, qui ne travaille plus guère de son corps, est visiblement engagée dans la voie de l’émancipation et donne certains indices d'une vie cérébrale sérieuse. Mais, si elle se sert de plus en plus facilement de son cerveau, la jeunesse de sa libération en fait un être encore cognitivement très entravé par l'inertie de siècles et de siècles d'une mono-activité, à savoir le ménage. Aussi, cette femme debout, va mettre à contribution son avantage intellectuel fraîchement acquis afin de se payer la joie de dominer une femme archaïque, encore à 45°, incapable de faire autre chose de noyer, puis d'étrangler, puis de faire pendre du linge. La femme en érection s'épanouit dans cette relation maîtresse/esclave. Devenue spectatrice sans empathie du travail des autres, elle ne peut s'empêcher de rester fascinée par le prodigieux fessier monolithique que possède sa soumise penchée à la bassine, qu'elle ne quitte jamais du regard, ni ne cesser d'invectiver durant le travail. Encore très étrangère au raffinement du libertinage, et en même temps privée par l'évolution de ce postérieur dont elle est éprise et qu'elle place toujours au coeur même de sa conscience de femme, elle ne fréquente pas d'homme, mais se console par la satisfaction orgueilleuse d'être devenue intelligente.
2. Un autre chaînon dans l'évolution de nos compagnes se rencontre, lui, plus souvent en Europe. Il s'agit de le femme dite proto-connective, qui s'éveille lentement vers cet intellectualisme de la pensée réflexive à l'infinie, spécificité de la femme "computeurisée". Le déclic se produit lorsque cette femme comprend peu à peu, puis de mieux en mieux, l'exercice de la programmation, non pas de son futur logiciel de design, mais de sa machine à laver. C'est le lien naturel entre la bassine à blanchir le linge et la messagerie électronique, entre les mains qui servent de battoirs, et les doigts qui s'agitent comme les ailes d'un colibris sur un clavier. Moins préoccupée que sa sinistre ancêtre par la mise en esclavage des autres femmes qui n'ont pas encore atteint son niveau, elle est davantage attirée par les ambiances "laboratoires", à la fois parce que c'est très propre, un labo, mais aussi à cause des expériences qu'on peut y faire au calme. Cet femme, qui vit sans relation de dépendance, ou d’indépendance, particulière aux hommes, entretient en revanche des liens étroits avec la machine, qu'elle respecte, soigne, sur laquelle elle passe de longues heures de silence à essayer d'en saisir le fonctionnement - et pourquoi pas aussi le sens caché - entre la lecture attentive du mode d'emploi et les nombreuses corrections empiriques motivés par le nouvel objet de sa curiosité.
SA
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