mercredi 27 avril 2011
Sadio le Mandingue irradie l'Alliance française de Ziguinchor
"Nourri à la plus ancienne tradition mandingue, comme à de nombreuses influences, Sadio Cissokho, incarne une pratique de la Kora résolument ouverte, riche d'expériences glanées aux 4 coins du monde.Installé aujourd'hui à Londres, il nous revient avec le Golden Kora Band..."
Ce soir à Ziguinchor, à l'Alliance française, c'est concert. Un des rares groupes sénégalais à réussir au rayon cuisine du monde des supermarchés britanniques. Public de toubabs francs, plus ou moins alcoolisé, mais aussi des spectateurs actifs, volontaires, bienveillants, le petit doigts sur la couture du pantalon,dont on devine l'esprit critique sensible à l'expression artistique exotique. Les toubabs battent des mains et des pieds, rivalisent avec la rythmique africaine, laquelle, notoire, est inlassablement exprimée par les percussions dont Sadio et ses amis abusent généreusement. Ca vous sonne, vous assomme, et pour ne rien arranger, les cordes métalliques de la kora électronique de Sadio, entre deux larsens, rajoutent au supplice, sous les applaudissement et les cris d'encouragement d'un public français en sandalette, avide de son et d'avoine. Comme pour nous rappeler qu'au commencement était le verbe, les voix des néo-griots psychotiques se font bientôt entendre sans fatigue. Un homme et un femme à forte capacité pulmonaire interpellent directement le public en wolof sur le ton très impératif que cette belle langue partage avec l'allemand. Le voix impérieuse de la femme, véritable déesse mythologique, nourricière et guerrière en même temps, est tellement puissante, monocorde, sans jamais sembler manquer d'air, qu'on prête volontiers à ce souffle fertile une sagesse remontée de la nuit des temps. Puis c'est l'éclosion, la germination..à force de rugissements incantatoires, les auditeurs finissent par mousser, exactement comme de la viande de dinde laissée dans une glacière au soleil d'été un jour de barbeuk. Ce soir sur la scène de l'alliance française, sous les manguiers tropicaux bercés par la brise, les toubabs en redemandent. Ils savent plus trop bien quoi d'ailleurs, de la bière, du vin, des frites. Les couples, dont les sentiments réciproques sont exacerbés par la magie du moment, bien sûr, même s'ils ne semblent pas bien malin, entre lentement en fusion....Pendant que Fukuchima contamine dans la joie et l’allégresse le monde au plutonium français, on a envie de mettre fin à cette comédie qu'on appelle la vie dans la langue de chez nous, tant il est vrai que cette musique puissante nous révèle à nous même, c'est à dire des ordures. Je ne suis pas, malheureusement, le professeur Unrat qui regarde danser Lola dans un cabaret de Lubeck. Je suis un français et je regarde d'autres français en train d'essayer de se divertir. Je me sens suffisamment proche d'eux pour être un peu effrayé par ces plats nauséabonds, proposés à la carte du bon gout, dans lesquels ils semblent se repaître comme des cochons.
SA
jeudi 14 avril 2011
La prodigieuse histoire de la femme 1
Ce matin, à l'Alliance Française de Ziguinchor, je lave consciencieusement mon linge dans le lavabo du complexe. Je demande à un membre du personnel un endroit où faire sécher mes affaires. Il me montre l’arrière-cour, le territoire des femmes de ménage de l'Alliance. Nous surprenons, mes deux Tshirt blancs, mon pentalon gris et mon slip noir sous le bras, deux femmes assez âgées en plein travail. Dotés de cuisses énormes et d'un haut du corps plus fin.
La femme africaine ne s'assoit pas quand elle lave, elle se penche, dévoilant au monde sa croupe recouverte d'une jupe, qui l'enracine au sol comme un Baobab, sa colonne vertébrale avec la flexibilité du roseau, se plie vers la bassine d'eau, tandis que ses bras maigres et ses mains noueusest battent le linge sans répits.
Je tends mon paquetage à l'une de ces braves femmes qui doit s’appeler Marie. Elle quitte sa bassine et se relève vers moi, mais reste au 3/4 penchée, parce que ses hanches ont du mal à dépasser l'angle à 90° d'ouverture, 45° étant sa position de travail, et elle travaille 15 heures par jours depuis 40 ans.
Elle inspecte mon travail d'un oeil expert, qui se vrille sur les nombreuses taches que ma négligence a laissé passer sur mes maillots de corps blancs (je refuse de lui laisser examiner mon slip). Mon pantalon gris est jugé propre, mais son essorage laisse à désirer en raison de la rugosité du tissus. La petite dame, vive comme l'éclaire, enroule d'un geste expert les jambe du pantalon suintant autour de l'os de son avant bras blanchit par les lessives et le tord de sa poigne d'acier, comme si c'était le cou d'un poulet, faisant gicler de grandes quantités d'eau à chaque tour de vis. Dans le même temps, sa collègue s'empare de mes Tshirt et les plonge aussitôt dans l'eau de javel de sa bassine. Puis, ensuite, toutes les deux ensembles, se redressent avec ferveur, bras et cou tendus, dans un élan irrésistible vers le ciel, pour tenter d'accrocher mes habits sur les cordes à linge à deux mètres du sol.
Nous pourrions être dans ce film de Stanley Kubrik sur l’odyssée de l'espèce, l'espèce femelle en particulier.
Comme une ellipse spatiotemporelle foudroyante, je me retrouve quelques mètres et secondes plus tard dans la bibliothèque de l'Alliance, où, après des siècles d'émancipation, lessive après lessive, une toubab Franque (Cf photo), la peau délicieusement beurrée par les crèmes du soleil des tropiques, tape nonchalamment sur ordinateur portable, comme si la femme n'avait jamais fait que cela toute son histoire. Les coussinets de ses dix doigts qui frappent légèrement les touches du PC, remplissent la salle tapissée de livre, d'un rythmé, cadencé et apaisant qui appelle la concentration. Mademoiselle pianote un logiciel d'édition, de la page duquel elle glisse vers Photoshop, puis vers outlook, et l'on comprend qu'elle est en train de travailler, en temps réel, à quelque projet de livre d'art en couleur, probablement en relation avec un bal, un festival, ou un carnaval, à la promotion d'un artiste local qui sera bientôt projeté à Paris. Son téléphone portable sonne régulièrement ajoute une sous-rythmique plus lente. Le tempo de l'ensemble est tenu par un petit pieds délicatement chaussé d'une sandale, qui s'agite en va et vient sous la table, cette petite masturbation qui remonte par les cuisses est une mise en branle doucereuse indispensable qui inonde le cervelet d'une hormone de béatitude favorisant, par le plaisir, le travail intellectuel. Nous le voyons, et quand bien même si la française irradieuse de l'ère Fukujima, n'est pas encore parvenu à se redresser totalement, son travail de bureau lui imposant un dos voûté et une tête qui se tasse un peu dans ses épaules...., que de progrès depuis le modèle féminin archaïque de la femme de ménage africaine ! Cette dernière rentre chez elle tous les soirs pour se faire prendre par un mari bien peu connaisseur des critères de beauté européens, et bien sûr faire à bouffer à la famille, avant qu'on la laisse enfin ronfler. Par contre, la toubab blonde, à l'accent de Paris, séparée de sa cousine par des siècles de progrès, restreindra beaucoup plus l’accès à son entre jambe (autrement que par et pour elle-même, nous l'avons vu) et compensera le manque à gagner en cérébralité, dont les temps forts les plus exubérant se marqueront par des pots interminables dans les jardins luxuriant de l'Alliance, ou ses doigts de pieds et de mains continueront à s'agiter de la même manière, mais cette fois pour orchestrer la magnifique symphonie mondaine, sur fond de concert live de jazz manouche, sous les étoiles du soirs du ciel tropical. Bien malin qui parviendra à la sauter. Et bien des honneurs à celui qui trouvera en lui les ressources physiques d'y parvenir dans le cas où elle serait consentante, parce que bourrée.
Que de progrès la femme a accompli, donc, depuis le stade archaïque jusqu'au produit de l'évolution sophistiqué qui enchante nos vies d'aujourd'hui. Il serait tentant en conclusion d'esquisser quelques étapes intermédiaires dans cette grande épopée. Deux sont particulièrement remarquables
1. Le stade que l'on peut dire proto-érectif, que l'on rencontre souvent en Afrique. Il s'agit la femme debout, à 180°, mais encore très attachée la lingère primitive. Cette femme, qui ne travaille plus guère de son corps, est visiblement engagée dans la voie de l’émancipation et donne certains indices d'une vie cérébrale sérieuse. Mais, si elle se sert de plus en plus facilement de son cerveau, la jeunesse de sa libération en fait un être encore cognitivement très entravé par l'inertie de siècles et de siècles d'une mono-activité, à savoir le ménage. Aussi, cette femme debout, va mettre à contribution son avantage intellectuel fraîchement acquis afin de se payer la joie de dominer une femme archaïque, encore à 45°, incapable de faire autre chose de noyer, puis d'étrangler, puis de faire pendre du linge. La femme en érection s'épanouit dans cette relation maîtresse/esclave. Devenue spectatrice sans empathie du travail des autres, elle ne peut s'empêcher de rester fascinée par le prodigieux fessier monolithique que possède sa soumise penchée à la bassine, qu'elle ne quitte jamais du regard, ni ne cesser d'invectiver durant le travail. Encore très étrangère au raffinement du libertinage, et en même temps privée par l'évolution de ce postérieur dont elle est éprise et qu'elle place toujours au coeur même de sa conscience de femme, elle ne fréquente pas d'homme, mais se console par la satisfaction orgueilleuse d'être devenue intelligente.
2. Un autre chaînon dans l'évolution de nos compagnes se rencontre, lui, plus souvent en Europe. Il s'agit de le femme dite proto-connective, qui s'éveille lentement vers cet intellectualisme de la pensée réflexive à l'infinie, spécificité de la femme "computeurisée". Le déclic se produit lorsque cette femme comprend peu à peu, puis de mieux en mieux, l'exercice de la programmation, non pas de son futur logiciel de design, mais de sa machine à laver. C'est le lien naturel entre la bassine à blanchir le linge et la messagerie électronique, entre les mains qui servent de battoirs, et les doigts qui s'agitent comme les ailes d'un colibris sur un clavier. Moins préoccupée que sa sinistre ancêtre par la mise en esclavage des autres femmes qui n'ont pas encore atteint son niveau, elle est davantage attirée par les ambiances "laboratoires", à la fois parce que c'est très propre, un labo, mais aussi à cause des expériences qu'on peut y faire au calme. Cet femme, qui vit sans relation de dépendance, ou d’indépendance, particulière aux hommes, entretient en revanche des liens étroits avec la machine, qu'elle respecte, soigne, sur laquelle elle passe de longues heures de silence à essayer d'en saisir le fonctionnement - et pourquoi pas aussi le sens caché - entre la lecture attentive du mode d'emploi et les nombreuses corrections empiriques motivés par le nouvel objet de sa curiosité.
SA
mercredi 13 avril 2011
Toubab 2. Le travail est un problème majeur de la société française
Soirée film documentaire à l'Alliance française de Ziguinchor ce soir. Le thème : Psychologie du travail et ravage du management. La toile blanche qui fait écran, tendue dans un cadre de roseau, flotte sous la brise du soir dans le jardin tropical. Monsieur et Madame le directeur sont assis juste derrière le vidéoprojecteur.
D'anciens employés français dépressifs sont reçus par un psychiatre de la médecine du travail. Les consultations sont filmées. Les employés racontent l'enfer du travail. Ce qui est dérangeant avec ce genre documentaire qui évoque remarquablement la misère, c'est qu'on ne sait pas si l'on est en train d'assister à un mémoire de recherche de psycho ou de socio, ou alors à une héroïque enquête journalistique racoleuse et sensationnaliste. La caméra fixe et le canon à son gobent de manière indifférencié toutes les humaines horreurs échangées de part et d'autre du bureau en PVC, filmé en coupe, dans le cabinet de consultation, ambiance sécurité sociale : carrelage de cantine scolaire, murs recouverts de peinture beige école communale. Un médecin en blouse blanche, laid, sans maquillage, parle un français métallique et neutre, mais de bon niveau, bien fluide et articulé, tout plein d'une fausse humanité, questionne son patient, que l'on devine expédié par le pôle emplois de son département. Le malade répond dans un français un peu plus bariolé, mais assez bon aussi, il a cela en plus qu'il se perd dans des descriptions, des justifications, dont tout le monde se fou. Quand on pense que certains psychiatres, dans le privé, reçoivent le client dans des salles de consultations luxueuses, lumière tamisée, boiserie précieuse, et tapis persan !
Les toubabs en affaires ou en vacances, qui noient leur soirée tropicale dans l'eau minérale ou la bière, au bar de l'Alliance, regardent le film d'un oeil vague. Les locaux, noirs, employés de l'Alliance regardent aussi. Ils terminent leur journée de travail à la bibliothèque ou au bar par une apothéose filmique française et voient de leurs yeux que les toubabs se font bien plus chier qu'eux au travail, et que finalement, même s'ils sont employés à vie à l'Alliance sans espoir de promotion, et pour des nèfles en plus, ils ont de la chance d'avoir un directeur aussi humain, eux. Il y a aussi d'autres locaux qui font des affaires avec les toubabs, des intermédiaires, des coxers, qui sont renforcés dans leur conviction profonde d'africain, que la france est malade et qu'il faut que ses employés les plus dépressifs viennent se soigner au Sénégal.
Étrangement, il y a un autre écran ce soir à l'Alliance à 20 mètres de là, plus petit, c'est une TV de moyen standing. On y passe du football, et 30 sénégalais supportent Manchester contre une autre équipe d'europe sur des chaises en plastiques. Au début je trouve cela sympathique, merde à ce film hypocrite et à ces toubabs moralistes et coincés qui sortent leur violon enduit d'antiseptique de l’hôpital. Ces enquêtes journalistiques boiteuses qui n'en finissent pas de boiter...mais quand j'entends le commentaire de crétin des journalistes sportifs de Canal Plus, que l'on capte visiblement en Afrique, je me dis qu'il n'y a plus d'espoir, que le reflet de la face de crétin des nuisibles est sans fin.
Alors, je me lève et vais m'abriter à l'intérieur du bar, un peu plus protégé. Je regarde les serveuses faire leur boulot. J'entends encore des bribes du film psy. C'est la partie finale, le débriefing des médecins du travail, dont on se rend compte qu'ils s'expriment entre eux, et avec le journaliste, dans la même langue professionnelle, qui sait si bien racoler dans l'intime, qu'avec les patients.
Et ce film devient peu à peu, ce soir, à Ziguinchor, une obscénité qui provoque la nausée. Nausée que je suis bien le seul à avoir parce qu'à regarder la tête des spectateurs, tout le monde s'en fou.
D'anciens employés français dépressifs sont reçus par un psychiatre de la médecine du travail. Les consultations sont filmées. Les employés racontent l'enfer du travail. Ce qui est dérangeant avec ce genre documentaire qui évoque remarquablement la misère, c'est qu'on ne sait pas si l'on est en train d'assister à un mémoire de recherche de psycho ou de socio, ou alors à une héroïque enquête journalistique racoleuse et sensationnaliste. La caméra fixe et le canon à son gobent de manière indifférencié toutes les humaines horreurs échangées de part et d'autre du bureau en PVC, filmé en coupe, dans le cabinet de consultation, ambiance sécurité sociale : carrelage de cantine scolaire, murs recouverts de peinture beige école communale. Un médecin en blouse blanche, laid, sans maquillage, parle un français métallique et neutre, mais de bon niveau, bien fluide et articulé, tout plein d'une fausse humanité, questionne son patient, que l'on devine expédié par le pôle emplois de son département. Le malade répond dans un français un peu plus bariolé, mais assez bon aussi, il a cela en plus qu'il se perd dans des descriptions, des justifications, dont tout le monde se fou. Quand on pense que certains psychiatres, dans le privé, reçoivent le client dans des salles de consultations luxueuses, lumière tamisée, boiserie précieuse, et tapis persan !
Les toubabs en affaires ou en vacances, qui noient leur soirée tropicale dans l'eau minérale ou la bière, au bar de l'Alliance, regardent le film d'un oeil vague. Les locaux, noirs, employés de l'Alliance regardent aussi. Ils terminent leur journée de travail à la bibliothèque ou au bar par une apothéose filmique française et voient de leurs yeux que les toubabs se font bien plus chier qu'eux au travail, et que finalement, même s'ils sont employés à vie à l'Alliance sans espoir de promotion, et pour des nèfles en plus, ils ont de la chance d'avoir un directeur aussi humain, eux. Il y a aussi d'autres locaux qui font des affaires avec les toubabs, des intermédiaires, des coxers, qui sont renforcés dans leur conviction profonde d'africain, que la france est malade et qu'il faut que ses employés les plus dépressifs viennent se soigner au Sénégal.
Étrangement, il y a un autre écran ce soir à l'Alliance à 20 mètres de là, plus petit, c'est une TV de moyen standing. On y passe du football, et 30 sénégalais supportent Manchester contre une autre équipe d'europe sur des chaises en plastiques. Au début je trouve cela sympathique, merde à ce film hypocrite et à ces toubabs moralistes et coincés qui sortent leur violon enduit d'antiseptique de l’hôpital. Ces enquêtes journalistiques boiteuses qui n'en finissent pas de boiter...mais quand j'entends le commentaire de crétin des journalistes sportifs de Canal Plus, que l'on capte visiblement en Afrique, je me dis qu'il n'y a plus d'espoir, que le reflet de la face de crétin des nuisibles est sans fin.
Alors, je me lève et vais m'abriter à l'intérieur du bar, un peu plus protégé. Je regarde les serveuses faire leur boulot. J'entends encore des bribes du film psy. C'est la partie finale, le débriefing des médecins du travail, dont on se rend compte qu'ils s'expriment entre eux, et avec le journaliste, dans la même langue professionnelle, qui sait si bien racoler dans l'intime, qu'avec les patients.
Et ce film devient peu à peu, ce soir, à Ziguinchor, une obscénité qui provoque la nausée. Nausée que je suis bien le seul à avoir parce qu'à regarder la tête des spectateurs, tout le monde s'en fou.
samedi 2 avril 2011
Toubab 1 : Un animal doué de raison ?
Bar de l'Alliance Française de Ziguinchor, "une ville sous-préfecture en folie"
C'est la règle, quand deux toubabs (toubab : blanc en Afrique francophone) se croisent, ils se regardent avec une indifférence timide et vaniteuse, chacun est une star qui marche dans la rue en espérant garder son anonymat. Si l'on croise une brochette de toubabs en allée, alors que l'on est seul, l'ignorance réciproque sera superbe. Si le français blanc est mal à l'aise dans son rapport au groupe, auquel il se soumet pourtant corps et âme, quand il ne peut pas faire autrement, il est encore plus mal à l'aise dans sa relation à lui même, et préserve son individualité, comme un territoire, contre toutes tentatives d'intrusion de la part d'autrui. L'Africain est, bien sûr, toujours suspecté d'être intrusif, mais le compatriote, l'autre toubab, client régulier du luxuriant bar tropical du centre ville d'une "sous préfecture en folie" comme Ziguinchor ou Bobo Dioulasso, n'est pas mieux considéré. D'autres européens, comme les Italiens et les espagnols, sont considérés comme des princes ou des radins, aléatoirement, par les autochtones qui, malgré tout, s'acharnent à satisfaire les besoins de ces touristes un peu ploucs. A l'opposée, au dire des locaux, les toubabs français seraient de plus en plus difficile à fréquenter, parce qu'ils sont antipathiques, mais aussi, parce qu'ils entrent facilement en concurrence avec les africains. En effet, le français montre souvent le besoin de vivre comme l'autochtone et de s’identifier à lui, mais, si le toubab va rechercher l'acoquinement avec l'habitant, ce dernier va rapidement pragmatiquement lui faire de l'ombre, l'un des deux sera vite de trop au soleil.
Cette reconnaissance de l'étranger en tant que mètre étalon, peut donner l'illusion d'un principe de"métissage" qui signerait la culture française du voyage. Ce rapport à l'autre est cependant totalement intransitif, il est plutôt à considérer comme une penchant psyco-sociologique pour la compréhension, sans réciprocité. Par comparaison, en Guniée Bissau, par exemple, il y a véritablement créolisation. C'est à dire que les portugais couchent sans contraceptifs avec les guinéens et fréquentent les mêmes bibliothèques. Ils partagent l'epos (la mémoire) l'ethos (la culture), le genos (la parenté), le logos (la langue), le topos (le lieu)....sans plus de difficultés. Ce n'est pas le cas du tout dans l'ancienne Afrique Française, ou le "fromage bien blanc" fraîchement sorti de l'avion, se transforme en beau "jambon rougeau" sous le soleil tropical, et fait contraste avec la mélanine des habitants. On se demande si c'est en réaction à cela, qu'ont été inventé des concepts comme la Négritude ou l'Ivoirité, ainsi que la pertinence de cet anoblissement de la couleur africaine, dans la mesure où il s'oppose à une palette française qui fait plutôt référence à la vitrine fromage / charcuterie du traiteur du quartier.
Quelle peut être la psychologie de ces toubabs, de Paris ou de Province, qui se promènent nonchalamment dans les ruelles africaines, à des décennies d'études après le bac, et tous les symptômes d’inhibition physique et de cérébralité intellectuelle qui vont avec : le front plissé, barré par les sourcils, le dos maigre, musculeux et voûté, plein de contractures, chez les hommes comme chez les femmes, ces dernière qui ont en plus les seins placés trop bas, et qui tombent, faute d'usage, comme souvent chez les intellectuelles. Leur tête est certainement mieux faite, car elle n'est pas très pleine en vérité. C'est, en effet, un savoir efficace qui les possède, comme la joie de déambuler 5 minutes dans les rayonnages de la bibliothèque du Centre Culturel Français, avant de s'embarquer en 4x4 revitaliser la culture régionale de la cambrousse à l'occasion d'un festival jazz un peu cucu. Ces espèces de Francs, filles et fils de Clovis, qui cachent leur atavisme germanique derrière un accent français à couper au couteau, toujours plus parisien, à mesure de la monstrueuse croissance de cette ville, pleinement macrocéphale, qui s'énonce en un sourire coincé, une ouverture biaisée vers l'autre, une agressivité latente : "chai pas enfin heuuu jveux dire, le truceuuu le machinheuuu, twoi csqujwedire ?..en parlant du steak frite à 3000 Francs sur la carte du restaurant ou, de la même manière, de l'exposition d'un artiste local totalement nul. Ce ramage extraordinaire compense le trop blond plumage nordique délavé par l'apprêté du climat des pays chauds, la clope dans le bec remplace le fromage de la fable.
Forgée au feu de la colonisation et du progressisme durant cette époque historique de crétinisme aiguë qu'était le Second Empire, la compréhension de la révolution industrielle par les français n'a pas été une réussite. Conséquence directe, le toubab, chez lui, en France, a l'habitude d'user plusieurs fois par jours, sans même s'en rendre compte, des infrastructures à grande capacité, pour lesquelles il paye cher, et qui forment un espèce de ciment national : sa centrale nucléaire au plutonium, son TGV, son autoroute, son hypermarché, sa capitale mondiale, Paris. Il en résulte une path dependancy, comme disent les anglais, ou encore une dépendance à l'infrastructure qui rendrait les gens butés et obsédés, comme si le moteur ou le goudron, ou l'hypercentralité d'une ville, bridaient l'imagination. Si le toubab des tropiques n'emporte pas ses infrastructures avec lui dans ses bagages, son comportement et sa psychologie restent déterminés. En pratique cette maladie s'exprime par l'illusion du "libre choix", exactement comme une liste de course qui donne l'impression au client d'avoir le choix entre les millions de produits de l'hypermarché de Monsieur Leclerc, alors qu'il ne fait que suivre docilement sa liste écrite à l'avance par rapport à l’énorme catalogue du magasin qu'il a fastidieusement appris par coeur. Il en va de même sur les routes d’Afrique où le français y poursuit, en rêve, ses inventaires de supermarchés et son besoin d'énergie inépuisable à satisfaire.
SA
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